Vers le prochain roman
 

Magnitude 11

Extraits du Journal de Véronique - Magnitude 11

Assis couché sous la table du comedor, il ne voyait qu’une petite moitié de monde, se résumant à des demi-corps, des parties de cuisses fermées ou ouvertes, des rotules molles ou saillantes, cagneuses, des jambes maigrelettes, charnues, dodues, variciées ou à la peau lisse, velue ou glabre, des bas filés, opaques, maillés, troués, de contention, de soie, de nylon, dentelés, à coutures, sensuels ou de laine rude, rêche, des pantalons courts, longs, à patte d’éléphant, jeans contrefaits ou d’origine, bas de chausse, braies ou rhingraves, bermudas, corsaires, pantacourts, shorts, des pieds nus, chaussés, des escarpins à talons, bottes, croquenots et autres espadrilles.
Comment imaginer la partie de dessus non visible, ce non-dit, avec seulement quelques mots ?
Comment raconter, décrire ce qui n’existe pas ? Une moitié de monde inconnue ?
À Paradisio, sous cette table, le dos courbé, la tête calée sous une planche, tournant d’un côté à l’autre, les yeux ne voient qu’un alignement de pieds, jambes et genoux.
– Mais aussi une position finalement très confortable, rassurante, pour moi qui vis difficilement une séismophobie incurable occasionnant souvent des troubles comportementaux que je ne peux maîtriser, confia-t-il un jour à Gaucho. Ainsi, les tremblements de Gaïa me paralysent, laissent monter en moi une chaleur intense, un élan indomptable qui fait jaillir immanquablement des sécrétions secrètes qui ne serviront jamais à aucune FIVE dans ce Conasur prospère.

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Un peu plus tard, marchant sur le Quapaq Ñan au côté de Gaucho, je surpris une nouvelle conversation à propos de Guetteur, je m’en souviens très bien :

Gahâlidé : Eh, tu ne vas pas le décrire ?
L’auteur : Qui donc ?
Gahâlidé : Guetteur.
L’auteur (Alors que toute mon attention est attirée par les terremotos façonnant l’histoire géologique et politique de ce pays j’hésite à te décrire Guetteur, sachant bien que dans tout roman il convient de cerner particulièrement les personnages principaux et que certains, puristes littéraires, vont m’en tenir rigueur.) :
Guetteur ? Mais il n’est pas réel Gahâlidé, comment veux-tu le décrire ?
Gahâlidé : Donne-lui un genre, un genre d’humain par exemple.
L’auteur : Un genre, c’est impossible au jour d’aujourd’hui, tu sais bien que chez les humains ça ne fait plus très genre d’avoir un genre genré.
(– Il avait cité Lamartine et le djinn le regardait l’air interloqué par son insistance tautologique.)
Gahâlidé : Alors, une couleur, une forme d’objet ou d’animal, de nuage, c’est toi l’auteur, fais ton boulot mon vieux ! Tigre, panthère, cheval, chat, oiseau, poisson… ? Un porte-voix, une cloche, ce serait pas mal pour un lanceur d’alerte !
L’auteur : Lui donner un aspect définitif ?
Gahâlidé : Il le faut mon cher.
 

Note de l'auteur - Magnitude 11

« – Cette éternelle jeunesse, c'était un peu faux quand même, me dit-elle dans un sursaut de lucidité.
Elle a fini par vieillir elle aussi, tout en gardant cette élégance acquise au contact de Madame Detounens et à la fréquentation des boutiques de Paradisio. »

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                                                          Photo Gérard Clerc